La franchise ingénue avec laquelle l'auteur décline les gestes de l'amour choqua, à la sortie du livre en 1962, maints lecteurs du Chéroub - salué pourtant par quelques voix enthousiastes. Sans doute le texte était-il en avance sur son temps : un peu à la manière des récits érotico-poétiques d'André Pieyre de Mandiargues, exactement contemporains, qui durent attendre leur heure pour se voir appréhendés à leur juste altitude.
Une gamine tout juste pubère, élevée entre un grand-père mystique, des tantes hargneuses vouées à une éternelle virginité et un oncle exalté qui lui fait découvrir les gestes interdits de la chair, se voue corps et âme à la poursuite du plaisir. Résolue à échapper à toute limite, même aux injonctions « naturelles » de son sexe, elle se déguise en garçon et séduit indifféremment hommes et femmes. Les femmes surtout fascinées par son ambiguïté non moins que par sa sauvagerie. Aucune pourtant, quelque passion qu'elle y mette, ne pourra la suivre jusqu'au bout de sa quête : où violence et ascèse lascivité et pureté composent les motifs paradoxaux d'une liturgie sensuelle envoûtante - inquiétante surtout, car la mort, on le suggère dès le début, a ici partie liée avec le désir.
Semblable au Chéroub, ce monstre ailé de la tradition judéoassyrienne, ange au corps de bête, soulevé par l'esprit et frappant le sol d'un sabot obstiné la narratrice refuse à la fois le ciel et l'enfer. Ou rêve peut-être de les réconcilier.
