Michel Quint Chevalier de la Légion d’honneur
Michel Quint a été décoré et élevé au grade de Chevalier de la Légion d’honneur le vendredi 1er décembre 2017 à la Fondation de Lille (suite à la promotion du 14 juillet).
Extrait de son discours prononcé lors de la cérémonie de remise :
Un combat dure plus qu’une vie d’homme. Même si certains semblent clos. Ainsi mon grand-père Leprêtre, mineur de fond, ancien combattant de Verdun, Croix de Guerre, ainsi mon père, résistant de la seconde guerre mondiale, m’ont bien enseigné le pacifisme, la volonté du « plus jamais ça ». Plus jamais les champs d’honneur où il n’y a ni champs ni honneur. Plus jamais la barbarie nazie, plus jamais l’inhumanité des tranchées. Pourtant les siècles précédant celui-ci n’ont jamais été totalement en paix. La leçon n’a jamais été sue. Seuls les artistes ont tiré enseignement des apocalypses. En 19, après une guerre qui tue Péguy, Alain Fournier, mutile Cendrars, ceux qui reviennent du front, Barbusse, Aragon, Dorgelès, Breton, savent qu’on ne peut plus regarder la civilisation comme un avatar du paradis, et que l’on a été impuissant à empêcher la barbarie. Même Apollinaire qui, dans les tranchées, compare le cul des juments de trait à celui de Louise de Coligny, ne parvient pas à empêcher la mitraille par la magie de ses poèmes. Sa blessure à la tête en est la preuve. Alors, après l’armistice, les artistes chamboulent tout : dadaïsme, surréalisme, cubisme, on change les regards…
Aujourd’hui, nous sommes toujours en 1919 et en même temps au siècle des lumières, nous sommes Picasso, Satie, Cendrars et Voltaire aussi. Nous, écrivains, essayons d’être des témoins, comme l’affirmait Sartre. Mais un tel rôle suppose la liberté et donc la responsabilité de ce que nous publions. Or le monde tel qu’il va n’est pas bien joli. La barbarie a toujours cours, le ventre est encore fécond d’où est sortie la bête, selon le mot de Brecht. Et la bête est partout. La cruauté et l’inhumanité ont désormais une dimension domestique. Elles s’invitent à nos fêtes comme au Bataclan, s’érigent en censeurs, assassins comme à Charlie Hebdo, ravagent des pays du Moyen Orient où la religion confisque l’état, l’Afrique, entrent dans les écoles et les églises des USA. Alors il est difficile de témoigner, d’exercer sa liberté d’expression. Est-ce pour cela que la littérature se replie souvent sur l’auteur : on auto-fictionne, on parle de soi, on se plaint de maux de dents, d’une famille en désordre. Et on dit au lecteur : « comme moi, tu peux t’en sortir ». La littérature du feel good. Et le triomphe de ce que l’on pourrait appeler le reality book. La fiction s’en trouve déconsidérée. Imaginer est fort mal vu. Il faut du vécu comme dans les émissions de téléréalité. Or, pour comprendre le monde, il faut le réinventer, pas le reproduire, et cette cosmogonie littéraire suppose une écriture poétique, qui crée un univers. Sinon, c’est de la littérature d’ameublement. On sollicite le sens du pathétique chez le lecteur, on le laisse pleurer les malheurs d’autrui et par conséquent, se sentir en sécurité. Lucrèce, dans son De rerum natura, parlait déjà de suave mari magno, de la douceur de regarder un naufrage depuis une plage.
Ou bien, comme Voltaire, avec son plaidoyer pour le Chevalier de la Barre, Jean Calas, ou Lally Tollendal, on ouvre sa gueule. On tente de dire le juste, même utopique. À tout le moins, on montre, on dirige le regard du lecteur.
J’essaie d’être de cette famille-là, de la race des sentinelles. Écrire n’est pas un hobby du dimanche, c’est toujours la vaine tentative de rétablir l’harmonie du monde. Tout écrivain est un Sisyphe tragique. Ainsi, et seulement à cette condition, comme disait Montaigne, il tente de « faire l’homme et dûment ».
Les éditions Phébus ont publié son roman Apaise le temps en 2016.
Prévu pour le mois de mars 2018, son prochain roman s’intitulera Misérables !