Leonid Andreïev
"Andreïev (1872-1919) est le grand oublié de la littérature russe du début de ce siècle. La critique portait alors ses nouvelles aux nues, beaucoup les considérant comme supérieures à celles de Tchekhov. Gorki, qui fut son rival et son ami, écrit : « Andreïev était possédé par le talent. Viscéralement. Son intuition était dune finesse inouïe. Pour tout ce qui touche aux aspects sombres de la vie, aux contradictions de lâme humaine, aux fermentations de linstinct, il était dune effrayante perspicacité. » Son oeuvre, traduite assez tôt en de nombreuses langues, a sombré dans loubli peu après 1917. Andreïev pourtant avait adhéré avec enthousiasme aux idées socialistes, même si ses écrits, transfigurés par un génie étrangement pessimiste, célèbrent fort peu les lendemains qui chantent. Ses nouvelles comme son théâtre se tiennent à lécart du réalisme et du symbolisme à la mode quil lui arrive de cultiver à loccasion, mais à sa manière « noire » et en y mettant quelque distance. Cest que lamertume sarcastique de son inspiration dévoie sans cesse le propos quil semble sêtre donné, lhorreur du monde et son absurdité finissant toujours par reprendre le dessus. On pourrait ainsi le situer sur une ligne mal définie, quelque part entre Strindberg et Kafka. À le lire aujourdhui, frappe un ton dune modernité rare, tout ensemble fiévreux et découragé. Ce que résume admirablement le critique S. Persky, qui fut aussi son traducteur : « Andreïev est en quelque sorte le fils spirituel de Tchekhov. Mais cest un fils maladif, chez qui linflexion mélancolique atteint ses dernières limites. La tonalité grise de Tchekhov, avec lui, vire au noir ; son humour un peu triste sest transformé en ironie tragique, son impressionnabilité en sensibilité morbide. » La course du monde depuis 1919 ne donnant pas beaucoup de raisons de se réjouir, et despérer moins encore, il est peut-être temps de redécouvrir Andreïev pour sapercevoir quil nous est mieux que jamais contemporain."