Il est peut-être l'heure de découvrir Priestley (1894-1984), que toute l'Angleterre applaudit pendant près d'un demi-siècle, et qui mérite de sortir de son purgatoire. Tel est le lot de ceux qui, à l'écart des avant-gardes et ne prétendant en rien à l'innovation, s'emploient d'abord à rester fidèles à un imaginaire singulier, et qui parfois poussent la discrétion jusqu'à accepter le succès, sans trop d'illusion sur les suites immédiates de l'affaire, mais confiants peut-être dans le jugement des surlendemains.
Adam au clair de lune (1927) est le premier roman de Priestley, et déjà on l'y trouve tout entier. Une histoire toute simple, avec un héros tout simple, mais qui emprunte des sentiers délicieusement compliqués. L'argument pourrait se résumer ainsi : un jeune homme sans qualités s'en va passer quelques jours de vacances en Écosse, et s'en reviendra changé pour la vie. Mais c'est ne rien dire de l'essentiel : de la construction tourbillonnante du récit, tout en fausses pistes, du chassé-croisé perpétuel des personnages, de leur non-conformisme foncièrement britannique, ni surtout de la grande question qui court entre les lignes comme le furet de la chanson : qu'est-ce-que la réalité ?... et le rêve n'est-il pas le plus court chemin pour arriver jusqu'à elle ?
Nous sommes dans un roman, mais l'atmosphère, comme dans le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, ou dans les meilleurs films de Renoir (La Règle du jeu, Le Carrosse d'or), hésite entre la comédie mélancolique et le conte. Un homme va de femme en femme et fait à ce jeu le seul apprentissage qui compte : celui du désordre. L'on devine bientôt comment va finir la fête, trop belle pour être vraie, trop cruelle pour être vraiment illusoire : entre douceur et tristesse, dans ce silence tremblé où s'éteignent les derniers lampions, tandis que la fraîcheur monte du petit matin gris. Le monde est là, avec ses fausses couleurs et son air de ne pas y toucher. Il faut vivre.
L'air de ne pas y toucher. Ce serait peut-être bien là le secret de Priestley.