Selon Borges et Henry James, sur ce point d'accord, s'il fallait se résoudre à ne lire qu'un seul livre de Collins – ce qui est en soi une contrainte insupportable – il faudrait que ce soit Armadale : car ces 800 pages foisonnantes embrassent à peu près tous les registres où se complaît d'ordinaire l'écrivain, humour bien noir compris. Un livre dont l'unique but, prévenons tout de suite l'innocent lecteur, est d'égarer celui qui aura eu l'imprudence de l'ouvrir. Résumons : Tous deux s'appellent Allan Armadale : l'un est tout ce que l'autre n'est pas; l'un sait, surtout, ce que l'autre ne sait pas – et l'un des deux, semble-t-il, est de trop sur cette terre. À partir du thème éternel de la rivalité entre Caïn et Abel (amour et haine confondus), Wilkie Collins brode une intrigue au fil de laquelle le lecteur est convié à toutes les conjectures, c'est-à-dire à tous les égarements : 800 pages de déambulation à l'intérieur d'un labyrinthe où les personnages et le destin rivalisent d'imagination et de perversité, 800 pages de machinations, de complots et de mensonges, au terme desquelles, délicieusement mis à mal, nous espérons malgré tout découvrir ce qu'il est convenu d'appeler la vérité.
Préface de Michel Le Bris