Ariadna Efron (1912-1975), fille de la grande poétesse Marina Tsvetaeva, aura passé quinze ans de sa vie reléguée dans un univers inhumain... et elle aura réussi à y vivre libre – intérieurement s'entend. Cette « Chronique » l'y aide : en fait de chronique, une riche succession de lettres qu'elle adresse à ses proches, ignorant que l'horreur, dans le monde ordinaire qui lui est désormais interdit, a fait aussi des progrès (dès la première de ces lettres, datée d'avril 1942, on a le cceur serré : Ariadna demande des nouvelles de sa mère, l'être qui lui tient le plus à coeur... laquelle s'est suicidée l'été précédent).
Emprisonnée en 1939, « libérée » en 1947 mais presque aussitôt renvoyée dans un camp du Grand Nord, la jeune femme écrit aux siens comme si sa vie dépendait de ces feuillets jetés au vent. Elle consacre aussi un texte de souvenirs à son enfance et à la figure de sa mère : un document poignant qui éclaire en particulier d'un jour neuf le destin pathétique de Marina Tsvetaeva - dont Àriadna, dans les dernières années de sa vie, rassemblera patiemment l'oeuvre dispersée.
Au total, ce livre intime et fervent nous laisse une impression étrange : celle d'avoir connu comme une amie, comme une soeur, cette jeune fille puis cette femme à qui toute liberté pendant quinze ans aura été refusée, et qui malgré cela va droitement son chemin... et trouve encore le moyen de nous aider, par-delà la distance et les années, à conduire le nôtre.