Un homme rencontre une femme... Telle est l'allumette qui presque toujours met le feu à l'une de ces histoires appelées à donner matière à ce drôle d'objet qu'on appelle un roman. Pour le reste, tout est dans la manière. Il a cinquante ans, il est marié : elle a trente ans, elle est mariée (avec un autre). Le bonheur qu'ils choisissent de prendre ensemble, ils ne pourront le vivre qu'" en douce ", comme des voleurs. C'est elle qui intéresse ici le romancier, tout à son portrait d'une femme d'aujourd'hui, d'une femme de toujours, affrontée aux petits riens et aux grands songes de la vie, qui sent approcher l'heure des choix, la tentation du grand saut longtemps retardé, et qui hésite... Mais le bonheur n'indique jamais la route à suivre, tout juste savons-nous qu'il a l'art d'échapper à nos plans, qu'il n'attend pas non plus que nous le méritions pour s'offrir. Bref, il est à l'image de la vie, qui jamais ne donne tout, qui récompense rarement l'attente, mais nous gratifie parfois de cadeaux indus. A l'image aussi du roman, qui prend le parti du mensonge et nous sert malgré cela, dans la clandestinité, des vérités que la " vraie vie " presque toujours nous refuse. Du bonheur considéré comme un exercice de contrebande... Les fidèles de Cédric Morgan (Cet hiver-là, Les Ailes du tigre, L'Enfant perdu) le retrouveront ici mieux que jamais attaché aux explorations qui lui sont chères : celles du souvenir inquiet, de l'émerveillement panique, des fourvoiements du désir. Attaché aussi à telle secrète impertinence comme aux gourmandises sensuelles. Cette fois-ci sous le double regard narquois de Flaubert et de Nabokov.
