Nous sommes aux pires heures de la guerre d'Algérie, mais en lieu et place du récit-document qu'attend le lecteur dès lors qu'il est question d'un tel sujet, l'auteur lui propose un roman frénétique dans la grande tradition noire anglo-saxonne – où Jim Thompson et Shakespeare se rejoignent, sous le regard en coulisse des dames de la Casbah, dans un grand épanchement d'hémoglobine.
Philippe Roussel, officier français travaillant en secret pour le compte du FLN, parvient à infiltrer un réseau d'activistes qui déploient une imagination toute sadienne dans leur désir de faire régner « l'ordre national » (car le sexe est terriblement présent tout au long de cette histoire, quelque effort que fassent les protagonistes, d'un bord comme de l'autre, pour cacher leurs turpitudes sous la toge des grands principes). Sur le point d'être démasqué, il prend la route du désert, théâtre de tous les mirages, de tous les délires...
Moins que l'intrique, pourtant fertile en rebondissements, frappe surtout ici la tranquille noirceur des personnages. Seul un Anglais, se prend-on à rêver, la dernière page tournée, était sans doute en mesure de faire sauter, avec cette jubilation vengeresse, les tabous qui nous empêchent encore d'envisager ce drame historique pour ce qu'il fut aussi : « ... une histoire contée par un fou, pleine de bruit et de fureur. »