Une petite troupe de lecteurs passionnés considèrent ce récit, publié au lendemain de la guerre, comme l'une des moins contestables réussites de la libération de ce siècle. L'une des plus déconcertantes en tout cas. Qu'une telle oeuvre ait pu à ce point se faire oublier est déjà une énigme. Comme est énigmatique la forme même de ce roman-rêve qui explore avec une feinte ingénuité l'écart étourdissant qui sépare la réalité et les mots supposés en rendre compte.
Ainsi, envers et contre tout « bon sens », et ravis de chausser de si séduisantes et inquiétantes lunettes, nous laissons-nous captiver par les aventures de ce Marcel Adrien, personnage mal réveillé qui ne cesse de prétendre à la réalité commune. Et nous le suivons de bon gré dans sa quête improbable : à la recherche des clés d'un monde qui persiste dans son mystère — mais notre monde se laisse-t-il mieux percer que le sien ?
Au bout de quoi, le livre refermé, c'est ce monde-ci précisément, trop familier pour être honnête, que nous nous surprenons à regarder d'un autre oeil, où nous nous émerveillons de déceler cent incongruités pleines de sens, mille signes jusqu'alors invisibles. Comme si ce roman de trompeuse apparence, par-delà l'angoisse qui l'habite clandestinement, avait le pouvoir magique d'éclairer notre existence d'un nouveau jour.