« Disons-le d'emblée puisqu'on ne le sait pas encore : Miklós Radnóti (1909-1944) fut un très grand poète ; l'un des six ou sept très grands poètes que cette terre de poésie qu'est la Hongrie peut s'enorgueillir d'avoir donnés à l'Europe et au monde ; l'un des plus chers au cœur de tout Hongrois ; le plus proche de nous peut-être et le plus actuel, lui dont le destin fut si tôt marqué par le pressentiment, presque par l'attente de la mort. »
Ainsi Jean-Luc Moreau, traducteur et poète lui-même, évoque-t-il la figure terriblement émouvante de Radnóti, issu d'Apollinaire et de Lorca, et bientôt sommé par l'Histoire de faire l'apprentissage d'une horreur jusqu'alors inconnue : déporté par les nazis, il finira ses jours aux bords du Danube après une marche épuisante de près de deux mois à travers l'Europe centrale (ses geôliers lui tireront une balle dans la tête ; on retrouvera son corps un peu plus tard et, dans la poche de son imperméable, les derniers poèmes – sublimes – qu'il griffonnait encore à l'instant de mourir). À tous ceux qui osent dire : « On ne savait pas », on aimerait faire lire ces textes où la beauté jusqu'au bout tient tête à la mort annoncée. Car Radnóti, lui, savait. Il avait même prévu, et bien avant la guerre, vers quelle sinistre destination l'époque se précipitait. Bien peu, alors, avaient daigné prêter l'oreille. La poésie, par chance, veille pour nous et elle survit à tout – même à l'assassinat des poètes.