Dans la salle à manger, six jeunes gens conversaient. Sur la table devant eux il y avait des desserts, des bouteilles de vin, du fromage et des fruits. Trois grosses bougies blanches dispensaient une lumière douce. À un bout de la table, assis légèrement en retrait, un jeune homme aux cheveux bruns coupés court et à la mine satisfaite étudiait son reflet dans la lame en argent brillant d’un couteau inutilisé.
– À trente ans, dit-il lentement, on a le visage qu’on mérite.
Fils des classes moyennes né dans la banlieue pavillonnaire de Londres, Martin Knight se révèle un enfant délicat, puis un adolescent sensible, romantique, narcissique, résolument esthète. À l’étroit dans son milieu, Martin rêve de s’élever, afin de mieux accéder à la beauté. Où trouver la clé des songes ? Les lumières de la City lui indiquent la voie : l’élève médiocre saura saisir la chance qu’offre aux ambitieux la capitale sous l’ère Thatcher. Chance rime alors avec finance. Et l’amour dans tout ça ? Quand Martin rencontre Marilyn, élégante jeune femme issue de la bourgeoisie intellectuelle, il croit voir incarnées toutes ses aspirations.
Sans concession, Michael Bracewell (Une époque formidable, Le Dilettante, 2002 ; Saint Rachel, Le Dilettante, 2004) signe le portrait sublime et dérisoire d’un jeune homme tenté d’établir un lien intangible entre l’argent et le goût. Futiles, matérialistes, perdus, Martin et Marilyn parviennent à nous émouvoir jusqu’aux larmes.