François Truffaut professait la plus vive admiration pour ce roman publié en 1940, l'un des plus violemment « incorrects » de la littérature américaine, aux côtés de la Lolita de Nabokov et du Destin de Mr Crump de Lewisohn...
Nous est contée l'irrésistible ascension d'une femme née parmi les pauvres et qui décide de conduire sa vie selon les seules injonctions de son désir, à travers une société corsetée d'hypocrisie (celle de l'Amérique à la veille de la guerre de Sécession).
La garce commence tôt : à quatre ans, la petite Jenny déploie déjà tout son talent pour séduire l'amant de sa mère, le beau lieutenant Carruthers, puis son propre père qui ne voit à la fin d'autre issue que de la battre comme plâtre (elle y prend goût) pour ne point passer à des actes plus décisifs...
Ils ne seront que les premiers d'une longue série de braves types – enfin, plus ou moins braves – qui passeront l'un après l'autre sous la coupe de l'intraitable créature, laquelle a, comme on dit alors, le diable au corps... et n'hésite pas à les pousser au crime, à la folie – en tout cas au pire.
On en sort assez secoué, mais troublé plus encore, car le coup de génie de Williams est de nous conduire malgré tout à envisager l'existence du point de vue de son héroïne, sorte de Heathcliff au féminin (l'ombre des Hauts de Hurlevent plane sur le livre) : comme si son propos était de nous faire vivre, délivrés des chaînes menteuses de la « moralité » (mais non de celles de la morale, car Jenny souffre et ne cesse de passer outre à d'authentiques remords), une vie toute livrée à l'appel d'un désir d'autant plus impérieux qu'il est décliné au féminin – c'est-à-dire brimé (et poussé à bout) par le consensus des âmes « vertueuses ».
Ces dernières peuvent s'abstenir d'ouvrir ce livre ; quant aux autres...